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Anthyllide vulnéraire: la Sauvage qui ne savait pas choisir
Date 21/06/2018
Ico Prairies

Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard (86)


Anthyllis vulneraria (Anthyllide vulnéraire) appartient à la famille Fabaceae (ex Légumineuses), au côté des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces, Gesses... Autant de Sauvages aux feuilles généralement composées et aux fleurs irrégulières caractéristiques (voir notre article complet sur le sujet), dites «papilionacées». Des papillons, les Fabacées en ont capté toute l'élégance. Mais l'Anthyllide vulnéraire a troqué le clinquant contre le bizarre, optant pour une floraison des plus originale: la Sauvage regroupe ses fleurs en d'étranges capitules, à la manière d'un trèfle un peu dégarni (elle est parfois surnommée le «Trèfle des sables» ou «Trèfle jaune»), sur des têtes cotonneuses. L'Anthyllide vulnéraire tire d'ailleurs son nom de la pilosité de ses calices, anthos étant la fleur en grec, et ioulos le duvet.


Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

Fleurs «papilionacées» de l'Anthyllide vulnéraire, comme plantées sur une boule de coton: une corolle formée d'un étendard, de deux ailes latérales d'une carène au centre.

Tant qu'on ne choisit pas, tout reste possible.

(Mr. Nobody, Jaco van Dormael)

L'Anthyllide vulnéraire colonise les plateaux calcaires et les pelouses arides (pH élevé). Tantôt décrite comme annuelle, tantôt comme vivace, la belle n'a probablement pas encore fait son choix... De même pour la couleur de ses fleurs (à observer entre juin et septembre) qui varient du jaune au rouge, en passant par le blanc, en fonction des régions et surtout selon ses envies.


Autogame, l'Anthyllide vulnéraire est apte à faire des bébés toute seule. Il n'étonnera personne qu'un tel polymorphisme, combiné à des capacités d'auto-reproduction, finisse par fixer ici et là de nombreuses sous espèces localisées (surtout dans les hot spots de biodiversité comme les Alpes, les Pyrénées, le midi de la France ou la Corse), pour la plus grande joie des botanistes qui pensaient avoir fait le tour de la question.


Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

Fleurs jaunes ou blanches, teintées de rouge de l'Anthyllide vulnéraire


L'Anthyllide vulnéraire n'est pas pour autant boudée par les butineurs. Loin de là: les amateurs de photographie peuvent planter leurs trépieds à ses côtés, le spectacle est assuré tout l'été. Autogame donc, mais aussi allogame (fécondée par les insectes)... L'Anthyllide vulnéraire a décidément du mal à choisir. Elle aurait de toute façon tort de le faire puisqu'elle cumule tous les avantages!


Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86) Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

L'Anthyllide vulnéraire: une Sauvage indépendante... Mais rarement seule!


L'Anthyllide vulnéraire renferme des tanins, des saponines, du mucilage, des flavonoïdes et des acides organiques. Un cocktail généralement considéré comme impropre à la consommation (rien de dramatique, elle serait légèrement laxative), mais suffisamment riche lui permettre de se tailler une réputation de plante médicinale, et ce depuis la Grèce antique. Pour rappel, «vulnéraire» désigne ce qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures: essentiellement, la Sauvage fut utilisée en application externe (cataplasme) pour ses qualités cicatrisantes, désinfectantes et anti-inflammatoires. Ainsi, elle était autrefois prescrite pour soigner les brûlures, les plaies et autres bosses.


Anthyllide vulnéraire contre les bosses! Sauvages du Poitou


Anthyllis vulneraria, Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

Feuille alternes, composées imparipennées et pubescentes de L'Anthyllide vulnéraire: 3 à 5 folioles, la terminale étant la plus grande... Comme une grosse bosse?


L'Anthyllide vulnéraire entrait dans les bouquet permettant de produire le «thé suisse», ou «vulnéraire suisse», une potion végétale jadis vendue par les colporteurs pour traiter et soigner les commotions. La recette du thé suisse variant en fonction des intuitions de l'herboriste (parfois du charlatan) qui le confectionnait, l'efficacité du breuvage fut remis en cause et la pratique peu à peu oubliée. Si la médecine contemporaine ne retient pas grand chose de l'Anthyllide vulnéraire, reste que les lépidoptéristes, à l'instar d'Olivier Pouvreau pour Sauvages du Poitou, lui réservent une place d'honneur bien méritée...



Le petit monde d'Anthyllis vulneraria


Dans la chaleur écrasante d’une ancienne carrière calcaire, les bouquets d’Anthyllides s’épanouissent comme autant de petites coupoles jaunes et rouges. Nous sommes le 29 juin 2015, une vague de canicule s’est abattue sur la France. Dans cette fournaise, les Anthyllides ont droit à un curieux visiteur: un minuscule papillon s’évertue à passer de fleur en fleur, y déposant à chaque fois de microscopiques œufs blancs verdâtres. Il est alors facile de s’assurer de l’identité de ce lilliputien. Avec un peu d’habitude, on identifie la famille de l’insecte: il s’agit là d’un Lycaenidae, la grande famille des Cuivrés, des Thècles et des Azurés (les «petits papillons bleus»). Vu le milieu (ancienne carrière), la taille infime de l’insecte (ce qui fait de lui le plus petit Azuré de France) et étant donné que notre Sauvage lui sert de plante-hôte larvaire, il s’agit bien de Cupido minimus, l’Argus frêle. On pourrait éventuellement le confondre avec un de ses cousins poitevins, l’Azuré de la faucille (Cupido alcetas) dont on peut croiser certains spécimens minuscules, mais ce dernier préfère en général les milieux mésophiles, ce qui fait que les deux espèces ont peu de chances de se croiser.


Cupido minimus sur Anthyllis vulneraria; crédit photo: Olivier Pouvreau

Argus frêle sur Anthyllide vulnéraire


Vous ne rencontrerez pas facilement l’Argus frêle. En Poitou, c’est un habitant des pelouses sèches, des coteaux calcaires, des anciennes carrières où s’épanouit l'Anthyllide vulnéraire, son unique plante-hôte larvaire. De plus, avec sa petite voilure, il passe volontiers inaperçu, d’autant que ses couleurs sont plutôt ternes: avec un dessous gris à ocelles noirs et un dessus très sombre, on est très loin du bariolage carnavalesque d’un Machaon! Dans nos contrées, l’Argus frêle apparaît en juin en deux générations. La chenille est myrmécophile (elle vit en association avec certaines fourmis), comme presque toutes celles des Lycaenidae. Elle finira son développement au printemps de l’année suivante après avoir passé l’hiver en diapause, enroulée dans une feuille sèche ou dans le sol. Fait notable: entre son réveil printanier et sa nymphose, la chenille ne se nourrit pas, ce qui fait qu’elle aura passé de longs mois sans s’alimenter. Ce comportement constitue un trait commun caractérisant les espèces du genre Cupido. En résumé: imago minuscule et terne, chenille pénitente... L’argus frêle ne serait-il pas un adepte de la sobriété volontaire?


Cupido minimus, Argus frêle; crédit photo: Olivier Pouvreau

Argus frêle: le plus petit Azuré de France, à peine plus gros qu'une mouche!




Pour aller plus loin :

- Anthyllis vulneraria : identification assistée par ordinateur

- Anthyllis vulneraria sur Tela-botanica


Anthyllis vulneraria & Ophrys argensonensis, Vouneuil-sous-Biard Petit Mazay (86)

Anthyllide vulnéraire et Ophrys de l'Argenson (Ophrys argensonensis), un tableau des prairies calcaires poitevines en été (Vouneuil-sous-Biard, 86)

 

Eupatoire à feuilles de chanvre: Legalize It?
Date 21/09/2017
Ico Zone humide

Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre

Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre


Eupatorium cannabinum (Eupatoire à feuilles de chanvre) appartient aux Asteraceae, le vaste clan des Sauvages à capitules et à fruits plumeux, celui du roi Pissenlit et de la reine Pâquerette. Selon certains auteurs, c'est à un tout autre souverain que l'Eupatoire emprunterait son nom de genre: celui de Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.). La tentative d'assassinat étant une tradition familiale chez les Mithridate, le roi s'intéressait de près à l'herboristerie, ne serait-ce que pour ne pas finir empoisonné par son entourage. On raconte qu'il consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à leur égard; bien sûr, Mithridate «le grand» s'intéressait aussi à leurs antidotes. Plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Eupatoire à feuilles de chanvre, qu'on a considéré jadis comme un remède aux morsures de serpent.


Argynnis paphiaboivre sur Eupatorium cannabinum, Poitiers bords de boivre

Un Tabac d'Espagne (Argynnis paphiaboivre) examine les petits capitules allongés (chacun composés d'une dizaine de fleurs au plus), réunis en corymbes ramifiés, de l'Eupatoire à feuilles de chanvre.


La Sauvage doit son nom d’espèce (cannabinum ou «chanvrine» en français) à ses feuilles composées (en 3 à 5 folioles pétiolulées) et dentées, qui évoquent un peu les feuilles du cannabis. A vrai dire, cette comparaison reste un poil suspecte... Voir stupéfiante!


Eupatorium cannabinum, Legalize it! Sauvages du Poitou


Faut-il le préciser: malgré son nom, l'Eupatoire à feuilles de chanvre ne gagne pas à être fumée. Ni mangée d'ailleurs: à cause de la présence d'alcaloïdes, elle serait légèrement toxique (c'est à dire à dire à très forte dose ou en cas de consommation appuyée ou régulière). Les animaux la boudent généralement, à l'exception des chèvres qui manquent rarement d’appétit quel que soit la salade.


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre

Feuilles de l'Eupatoire à feuilles de chanvre: Legalize It?


L'Eupatoire à feuilles de chanvre est une vivace pionnière caractéristique des marais, des bords des fossés et des lisières forestières humides. C'est une des «signatures» des mégaphorbiaies: dessinant les frontières entre zone humide et forêt, les mégaphorbiaies sont des prairies inondables peuplées d'une végétation dense, haute, luxuriante et colorée. Des milieux où la biodiversité explose, et où les naturalistes aiment flâner bottes aux pieds et appareil photo en bandoulière.


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Nouaillé-Maupertuis (86)

Eupatoire à feuilles de chanvre, un festival reggae pour les papillons! (L’Écaille chinée, Callimorpha quadripunctaria)

On n'est pas là pour se faire engueuler on est là pour voir le défilé!

(Boris Vian)

L'Eupatoire à feuilles de chanvre participe très généreusement au grand festin des praires humides: bien que n'intéressant pas spécialement les abeilles, la Sauvage est un véritable aimant à papillons. Sa richesse en nectar, le rose de ses fleurs, les plateformes d’atterrissage de ses corymbes sont autant d'atouts aux yeux et aux antennes des rhopalocères. A la belle saison, n'hésitez pas à planter votre chaise à ses côtés: 14 juillet ou non, défilé et feux d'artifices colorés sont assurés tout l'été! Les plus chanceux inviteront directement la Sauvage dans leur jardin, pour peu qu'ils disposent d'un coin de terre riche et humide, et pourrons alors remiser leur télévision au placard.


Vanessa atalanta sur Eupatorium cannabinum, Beauvoir (86) Aglais io sur Eupatorium cannabinum, Poitiers bords de Boivre Vanessa cardui sur Eupatorium cannabinum, Beauvoir (86)

Le Vulcain (Vanessa atalanta), le Paon du jour (Aglais io) et la Belle-Dame (Vanessa cardui) défilant sur le boulevard Eupatoire à feuilles de chanvre, excusez du peu!


Une croyance populaire veut que les cerfs blessés au combat de l'amour soignent leurs plaies en se frottant contre la Sauvage. Ainsi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre serait cicatrisante en usage externe (feuilles fraiches). En usage interne, feuilles et racines (infusion, décoction, poudres...) seraient digestives (des études récentes tendent à montrer que son usage faciliterait effectivement la sécrétion de la bile), stimulante pour le système immunitaire, anti-inflammatoire... La Sauvage est aussi une plante tinctoriale, permettant d'obtenir un colorant, à mi-chemin entre le jaune et le vert clair (la coloration dépend de la période de récolte).


Une palette bien fournie sur laquelle se sont greffé au cours des siècles de nombreuses légendes: portée sur soi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre est sensée booster notre potentiel de séduction. Ainsi, on conseillait aux femmes d'en glisser un brin sous leur jupe les soirs de bal... Et qui sait, faute de ramener un(e) prétendant(e) à la maison, la méthode reste peut-être un bon moyen de s'offrir la compagnie d'une bande de papillons!


Eupatoire à feuilles de chanvre, soyez la reine (le roi) du bal! Sauvages du Poitou


Pour aller plus loin:

- Eupatorium cannabinum sur Tela botanica

- Eupatorium cannabinum: identification assistée par ordinateur

- L'entomofaune de l'Eupatoire chanvrine par André Lopez, sur le site de Société d'Etude des Sciences Naturelles de Béziers (page 9)

- L'Eupatoire à feuilles de chanvre: utilisation médicinale à travers l'histoire sur le blog Books of Dante


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Clain

Les fruits (akènes) de l'Eupatoire à feuilles de chanvre en automne, Poitiers bords de Clain

 

Grimoires, flores et herbiers: trésors du Fonds ancien
Date 20/02/2017
Ico Initiation à la botanique joyeuse!

Angelica sp, Matthiole, 1566

Divines Angéliques d'après Matthiole (1565)


En plein cœur de février, plusieurs botanistes se retrouvent sur le campus de Poitiers... Une Sauvage précoce et rare aurait-elle été repérée près d'un parking? Pas vraiment, même si les capitules discrets du Senecio vulgaris, solitaires et banals en cette saison, suffisent à leur ravissement. C'est un tout autre genre de trésors, faits d'encre et de papier, qui attirent ces passionnés de nature: Anne-Sophie Traineau-Durozoy, conservatrice du Fonds ancien de la Bibliothèque universitaire de Poitiers, ouvre les portes de sa caverne aux merveilles pour présenter plusieurs grimoires botaniques, sélectionnés parmi les 40.000 ouvrages qui reposent sur les rayonnages.

Tous les murs étaient couverts d’étagères, et toutes les étagères chargées de livres. Et les livres étaient tous, ou presque, des livres anciens, des livres de magie!

(Jonathan Strange et Mr Norrell, Susanna Clarke)

Anne-Sophie Traineau-Durozoy enclenche la machine à remonter le temps en propulsant ses invités dans la première moitié du 16ème siècle. En ce temps, les auteurs naturalistes cherchent avant tout à copier, collecter et compiler le savoir des anciens, à commencer par ceux de Théophraste et Dioscoride, aux origines grecques de la botanique et de la phytothérapie. Dans un élan d'audace, les auteurs du 16ème se risquent parfois à compléter de leur propre observations les textes fondateurs, sans chercher à critiquer ou à réinventer l'approche. Les imprimés les plus anciens présentés ce jour là restent impénétrables: rédigés en latin et non illustrés, ils passent respectueusement de main en main, inspirant peu de commentaires...


Les livres en latin... Sauvages du Poitou!


Les premières gravures marquantes de cette visite guidée surgissent d'ouvrages rédigés par le botaniste italien Pierre André Matthiole («Commentaires de M. Pierre-Andre Matthiole, medecin senois, sur les six livres de P. Dioscoride», 1565 et 1566). Au 16ème siècle, les illustrateurs cherchent à produire un travail esthétique et pragmatique (fleurs et fruits peuvent apparaitre simultanément sur un même spécimen) plutôt qu'une reproduction fidèle de la réalité. La technique de la gravure sur bois impose un trait épais. Au bout du compte, les dessins semblent un brin fantastiques, dignes d'un comic strip anachronique: loin de paraître vieillottes, les vignettes semblent au contraire sortir d'une bande dessinée contemporaine!


Umbilicus rupestris, Matthiole, 1566

L'incroyable Nombril-de-Vénus (Umbilicus rupestris) version Matthiole (1565), un sérieux prétendant pour le Fauve d'Or du festival d'Angoulème?


L'illustrateur des ouvrages de Matthiole s'autorise une autre fantaisie: chaque plante est escortée d'une joyeuse farandole d'insectes virevoltant. Les tableaux respirent la vie, loin des planches froides que la rigueur anatomique encouragera les siècles suivants.


Taraxacum officinale, Matthiole, 1566

Le Pissenlit (Taraxacum sect. Ruderalia) et autres Astéracées version Matthiole (1566), un coup de crayon qui fleure bon la biodiversité!


Bien sûr, toute science requiert rigueur et précision. Dès le 17ème siècle, les illustrations gagnent en netteté: la gravure sur cuivre l'emporte sur le bois, les traits s'affinent. Les artistes cherchent à traduire le réel. Le détail est roi, le microscope vient d'ailleurs de faire son apparition dans les laboratoires. C'est une période cruciale et féconde dans l'approche naturaliste: fini le «copier/coller», on révise et on critique les textes fondateurs mâchés et remâchés. A ce point, tout reste à (ré)inventer, à l'image du botaniste français Joseph Pitton de Tournefort qui sème les premières graines de la classification binominale dans ses ouvrages (un nom de genre et un nom d’espèce pour chaque plante).


Ruta muraria, Joseph Pitton de Tournefort, 1719

Rue des murailles (Ruta muraria) dans «Institutiones rei herbariae» de Joseph Pitton de Tournefort (1719)... Un trait précis qui n'incite pas franchement à la rigolade!


Le monde s'ouvre, les explorateurs ramènent de leurs voyages en terra incognita des plantes et des bestiaires fantastiques. C'est l'époque des cabinets de curiosités; les sciences sont à la mode, des Jardins du Rois jusqu'aux diners mondains. Cet incroyable barnum raisonne jusque dans les ouvrages botaniques où se croisent plantes banales et exotiques, pissenlits et ananas! Cette curiosité insatiable se prolonge au 18ème, siècle éclairé et encyclopédique s'il en est un. L'effort de vulgarisation permet au plus grand nombre de s'initier aux joies de l'herborisation. Les noms vernaculaires (français) complètent les noms latins dans les flores. Les gravures, toujours plus fines et coloriées à la main, sont éblouissantes, à l'image des lichens de l'ouvrage du botaniste allemand Georg-Franz Hoffmann (1790-1801) qui semblent incrustés à même le papier.


Lichen par Hoffmann, 1790-1801


Lichen par Hoffmann, 1790-1801

Apothécies en trompe l’œil de lichens dans «Descriptio et adumbratio plantarum e classe cryptogamica Linnaei quae lichenes dicuntur» de Georg-Franz Hoffmann (1790-1801)


«Flora Parisiensis» (1776-1783) du botaniste français Pierre Bulliard est un bon exemple du mariage réussit entre rigueur scientifique et excellence artistique. Le scientifique étudia l'art de l'illustration naturaliste auprès de François Nicolas Martinet, l'auteur des gravures des ouvrage du comte de Buffon, intendant des jardins du roi. Les dessins de Bulliard attrapent l’œil comme un Gaillet grateron accroche un bas de pantalon!


Galium aparine, Pierre Buillard (1776-1783)

Gaillet Grateron (Galium aparine) dans «Flora Parisiensis» de Pierre Bulliard (1776-1783)


En guise de conclusion, Anne-Sophie Traineau-Durozoy propose à ses invités d'ouvrir un dernier coffre à trésor. Le Fonds Ancien de la Bibliothèque universitaire de Poitiers détient une collection d'aquarelles inédites signées Marie Corneille, une naturaliste locale de la fin du 19ème siècle dont on ne sait rien. Dès les premières planches, je pense aux propos du botaniste français Francis Hallé:

«Il me semble indispensable d'aller à la rencontre de chaque plante en prenant le temps de la regarder, un crayon à la main. Aucune photographie ne peut remplacer cette lenteur nécessaire, cette intimité avec ce qu'on dessine.»

Bellis perennis, dessin de Marie Corneille (1875, Niort)
Pâquerette (Bellis perenis) par Marie Corneille, 1875 à Niort

Le travail de Marie Corneille atteste de son sens de l'observation, de son expertise, de sa patience et de son goût de la nature. Chaque page arrache des soupirs admiratifs aux botanistes qui s'amusent à identifier les spécimens d'après peintures, tant ils semblent frais et bien vivants!


Dominique Provost, Fabien Zunino, Yves Baron... La fine fleure de la botanique poitevine découvre les œuvres de Marie Corneille, illustre artiste, botaniste... Et inconnue!

- On m’avait dit, monsieur, que votre bibliothèque était une des merveilles du monde moderne. Toutefois, je ne l’imaginais pas à moitié aussi fournie.
(Jonathan Strange et Mr Norrell, Susanna Clarke)
Ce court aperçu est loin de citer l'ensemble des ouvrages présentés lors de cette rencontre. La salle de lecture du Fonds ancien de la bibliothèque universitaire de Poitiers est ouverte à tous et gratuite: libre à vous d'aller toucher, sentir et contempler l'ensemble de ces vénérables grimoires, témoins de la grande aventure botanique à travers les siècles.

Araschnia levana par August Johann Rösel von Rosenhof et Christian Friedrich Carl Kleemann (1746-1761)
Carte géographique (Araschnia levana) dans «Der monatlich-herausgegebenen Insecten-Belustigung» par August Johann Rösel von Rosenhof et Christian Friedrich Carl Kleemann (1746-1761). Le Fonds ancien côté entomologie, une autre mine d'or à creuser!

Et puisqu'une bonne nouvelle en appelle une autre: Sauvages du Poitou accueillera dorénavant dans ses pages, entre deux comics strips tricotés à la main, de somptueuses gravures anciennes, dénichées et numérisées par les équipes du Fonds Anciens.

Dragons des bibliothèques: les gardiens des trésors de papier!
Merci à Anne-Sophie, Élise, Olivier et à tous les dragons qui veillent sur les trésors d'encre et de papier!

Pour aller plus loin:

- Site du Fonds ancien de la bibliothèque universitaire de Poitiers

- «Commentaires de M. Pierre-Andre Matthiole, medecin senois, sur les six livres de P. Dioscoride» sur Gallica (BNF)

- «Institutiones rei herbariae» de Joseph Pitton de Tournefort sur Gallica (BNF)

- Ouvrages de Georg-Franz Hoffmann consultables en ligne

- «Flora Parisiensis» de Pierre Bulliard sur Gallica (BNF)

- L’Herbier de Pierre Bulliard, une première dans l’édition scientifique (article de la Bibliothèque Inter Université de Paris)

- «Der monatlich-herausgegebenen Insecten-Belustigung» par August Johann Rösel von Rosenhof et Christian Friedrich Carl Kleemann sur E-Rara


Himantoglossum hircinum par Marie Corneille (1879 à Saint-Florent)

Orchis bouc (Himantoglossum hircinum) par Marie Corneille, 1879 à Saint-Florent (79)

 

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